Le grand malaise des employés du nucléaire

 Publié le  26 avril 2011 sur Solidarité ouvrière

http://communismeouvrier.wordpress.com/2011/04/26/le-grand-malaise-des-employes-du-nucleaire/

Impératifs de rentabilité, charge de travail accrue, recours massif à la sous-traitance : la situation des salariés n’est pas favorable à une sûreté optimale des centrales françaises.

Immanquablement, la catastrophe nucléaire en cours au Japon a relancé le débat sur la sûreté des 58 réacteurs français. S’il a beaucoup été question de l’incidence des inondations ou des séismes, le facteur humain est lui aussi crucial pour garantir la fiabilité des installations atomiques. Survenu il y a exactement vingt-cinq ans, l’accident de Tchernobyl était entièrement imputable à une erreur humaine.

« La politique de maintenance constitue une ligne de défense essentielle pour prévenir l’apparition d’anomalies », se fait fort de rappeler l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans ses rapports annuels. Garantir la sûreté optimale des centrales suppose logiquement que les employés d’EDF travaillent dans de bonnes conditions. Or, ces dernières années, plusieurs suicides ou tentatives de suicide sont survenus dans les centrales.

Entre 2004 et 2007, quatre employés du site de Chinon se sont donné la mort. En septembre 2008, à la centrale de Saint-Alban, un ingénieur de 50 ans a tenté de se tuer, enjoignant à ses collègues, dans une lettre, de « se rebeller contre la direction ». Et, à cette même époque, l’ancien directeur de la centrale de Gravelines avait été condamné pour non-respect de la durée de travail des cadres.

Le site du Blayais concerné

Située au bord de l’estuaire de la Gironde, la centrale du Blayais a elle aussi été touchée par des drames similaires. Fin janvier 2009, une cadre ingénieur a tenté de mettre fin à ses jours en ingérant des médicaments. La scène s’est déroulée dans les locaux de la centrale. En décembre 2009, un ingénieur de la radioprotection a menacé de se suicider. Dépêché sur les lieux, l’inspecteur du travail de l’ASN a aussitôt demandé une expertise de son service.

Il est difficile d’établir jusqu’à quel point de mauvaises conditions de travail poussent au suicide. Néanmoins, plusieurs « syndromes de stress post-traumatique » imputables au travail ont été détectés par les médecins des centrales. « En dix ans, j’ai vu la situation considérablement se dégrader, confiait l’un d’eux en 2008. Il y a une augmentation des prises médicamenteuses, des sédatifs, des antidépresseurs… »

La tendance perdure. « En 2009, 16,5 % des visites médicales ont été réalisées à l’initiative des salariés, contre seulement 10 % en 2008, relate un médecin de la centrale du Blayais. La plupart découlent d’un mal-être au travail qui se traduit notamment par de l’anxiété, des troubles du sommeil, des dépressions ou encore une dégradation des relations entre collègues. »

L’augmentation de la charge de travail en serait une des causes. « Il y a eu de nombreuses suppressions de postes dans le tertiaire et une redistribution des tâches vers le personnel technique, décrit Jean-Pierre Jarosz, secrétaire du syndicat Force ouvrière à la centrale. Le management s’est retrouvé avec une charge de travail accrue. Suite à plusieurs drames, la direction nationale a pris conscience du malaise des cadres. Leur situation s’améliore. » La nomination d’un nouveau directeur, Étienne Dutheil, en avril 2009, a semble-t-il apaisé les rapports hiérarchiques.

Avec les cadres, les ouvriers-techniciens doivent eux aussi faire face à un accroissement du rythme de travail, en particulier lors des arrêts de tranche. Ces opérations consistent à remplacer le combustible et entretenir les réacteurs. Plus ceux-ci restent à l’arrêt, moins ils produisent d’électricité. Pour des raisons de rentabilité, EDF fait en sorte que les temps d’intervention soient le plus courts possible.

Perte du savoir-faire

« Durant les arrêts, les chantiers se superposent, ce qui n’est pas sans causer des soucis de sécurité pour le personnel. Des arrêts que l’on faisait en quarante-neuf jours sont maintenant effectués en trois semaines », note Thierry Raymond, représentant CGT à la centrale du Blayais.

Un autre problème concerne les ouvriers : celui de la perte progressive de leur savoir-faire. 80 % des chantiers sont désormais sous-traités par EDF. Du coup, « certains agents vivent assez mal de devoir délaisser leurs précédentes missions au profit de tâches de contrôle et de surveillance, signale un médecin de la centrale de Blaye. Ils ressentent parfois cette évolution comme une perte de leur identité professionnelle et un manque de reconnaissance de leur savoir-faire ». Situation confirmée par les syndicalistes. « On risque la perte des compétences des agents, dont une grande partie ont atteint les 50 ans. Or on demande aux nouveaux de surveiller des travaux qu’ils n’ont jamais effectués », déplore Thierry Raymond.

« Nomades du nucléaire » L’externalisation des tâches a été tellement développée ces dernières années que les sous-traitants (plus de 20 000) sont à présent aussi nombreux à travailler dans les centrales que les agents d’EDF. Il arrive même que des sous-traitants confient leurs tâches à d’autres sous-traitants. « C’est une course au moins-disant salarial », s’insurge Thierry Raymond.

Ces ouvriers sous-traitants, non soumis à la convention collective des salariés d’EDF, ces « nomades du nucléaire », ont des conditions de rémunération peu enviables (entre 1 100 et 1 500 euros par mois). Ils vivotent d’une centrale à une autre, enchaînant les chantiers sous la menace que leur contrat ne soit pas reconduit. Ce qui ramène à la question de la sûreté des installations : « Des sous-traitants ont peur de dire qu’ils ont commis des erreurs sur des chantiers, accuse Jean-Pierre Jarosz. Il y a eu des licenciements suite à des erreurs. La pression de l’employeur est très forte. »

Face au mal-être affectant ses agents, la direction d’EDF a décidé en 2008 de mettre en place, dans ses centrales, des groupes de « qualité de vie au travail ». Une décision saluée par les syndicats, mais qui, selon eux, ne remet pas en cause les origines du malaise : la privatisation d’EDF, entamée depuis septembre 2005.

À ce jour, l’État ne possède plus que 84 % du capital. « L’argent que l’on reverse sous forme de dividendes aux actionnaires pourrait être utilisé dans une optimisation de la maintenance ou pour l’embauche des sous-traitants », soutient Thierry Raymond. En outre, l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence ou encore la gestion des déchets nucléaires contraignent EDF à réduire ses coûts de production… tout en maintenant un niveau élevé de sûreté.

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